La théorie de la structuration d'Anthony Giddens
Sources :
Les nouvelles sociologies, Philippe Corcuff, Coll. 128, Nathan Université
Chercheur britannique, Anthony Giddens est aujourd'hui professeur de sociologie à l'université de Cambridge. Ses travaux sont particulièrement discutés aux Etats-Unis depuis les années 70, mais ont été introduite tardivement en France avec la traduction de La Constitution de la société - Eléments de la théorie de la structuration en 1987.
L'oeuvre d'Antony Giddens, à la différence de celle de Norbert Elias ou de Pierre Bourdieu, est surtout théorique. Il a ainsi essayé de combiner, au sein d'une théorie de la structuration, une double sociologie des structures sociales et de l'action, dont nous n'aborderons que quelques-unes des articulations. Le concept de structuration vise d'abord à nous faire appréhender les structures sociales sous l'angle du mouvement. Il le définit ainsi : "procès des relations sociales qui se structurent dans le temps et dans l'espace via la dualité du structurel".
1-. La dualité du structurel
Cette notion de dualité du structurel peut s'exprimer de différentes façons. On peut d'abord avancer " que les propriétés structurelles des systèmes sociaux sont à la fois des conditions et des résultats des activités accomplies par les agents qui font partie de ces systèmes". Il s'agit d'une vision circulaire de la construction du monde social, où ses dimensions structurantes sont à la fois avant l'action, comme ses conditions, et après, comme des produits de celle-ci. Ces aspects structurants, à travers lesquels le chercheur tente d'appréhender ce en quoi "des relations sociales se stabilisent dans le temps et dans l'expact", se distinguent donc de l'action humaine située ici et maintenant,mais en même temps, ils "n'existent pas en dehors de l'action" présente.
Outil abstrait forgé par le sociologue afin de saisir ce qui, stabilisé, ne s'invente pas dans chaque nouvelle interaction, le structurel n'a toutefois de réalité empiriquement saisissable qu'actualisé dans l'action et l'interaction. Mais la notion de "dualité du structurel" peut être vue sous un autre angle : l'affirmation que "le structurel est toujours à la fois contraignant et habilitant" et qu'il renvoie donc conjointement aux notions de contrainte et de compétence. Par exemple, l'apprentissage de notre langue maternelle contraint nos capacités d'expression, et donc limité nos possibilités de connaissancs et d'action, mais, dans le même temps, nous donne une habilité, rend possible tout un ensemble d'actions et d'échanges.
2-. La compétence des acteurs : conscience pratique et conscience discursive
Intégrant une sociologie de l'action, la théorie de la structuation nous présente donc des acteurs sociaux compétents ; la compétence étant entendue comme "tout ce que les acteurs connaissent (ou croient), de façon tacite ou discursive, sur les circonstances de leur action et de celle des autres, et qu'ils utilisent dans la production et la reproduction de l'action". Cette compétence souligne notamment une capacité réflexive des acteurs humains, "constamment engagés dans le flot des conduites quotidiennes", c'est-à-dire qu'ils sont "capables de comprendre ce qu'ils font pendant qu'ils le font".
Mais cette "réflexivité n'opère qu'en partie au niveau discursif" et, au sein de la compétence humaine, Anthony Giddens est amené à distinguer la conscience discurcive et la conscience pratique. La conscience discursive renvoie à "tout ce que les acteurs peuvent exprimer de façon verbale (orale ou écrite)". c'est-à-dire ce à quoi on réduit couramment la notion de conscience. La conscience pratique, notion plus originale, vise "tout ce que les acteurs connaissent de façon tacite, tout ce qu'ils savent faire dans la vie sociale sans pouvoir l'exprimer directement de façon discurcive" et n'est pas sans lien avec la notion de routine.
La frontière entre ces deux modalités de la compétence sont flottantes et changeantes. Par contre, Anthony Giddens note, en référence à la théorie psychanylitique de Sigmeund Freud (1859 - 1939), qu' "il existe des barrières, en particulier le refoulement, entre la conscience discurcive et l'inconscient" ; l'inconscient incluant "les formes de cognition ou d'impultion qui sont totalement refoulées, ou qui n'apparaissent dans la conscience qu'une fois déformé". L'inconscient constitue une des limites de la compétence des acteurs humains. La prise en compte de la compétence humaine, même limitée, conduit Anthony Giddens à envisager de manière non rigide les rapports entre connaissance ordinaire et connaissance savante du monde social : " aucune ligne de démarcation claire ne sépare les acteurs 'ordinaires' des spécialistes lorsqu'il s'agit de réflexion sociologique documentée. Des lignes de démarcation existent, certes, mais elles sont inévitablement floues ". Par ailleurs, dans une vue dynamique de cette non-étanchéité, il note que les théories des sciences sociales " s'entrelacent plus ou moins avec des théories-en-usage " des acteurs. Cela ne signifie toutefois pas qu'acteurs et chercheurs utilisent les mêmes types de critères pour évaluer leurs analyse.
Anthony Giddens parle des " critères de crédibilité " utilisés par les acteurs pour se rendre compte de ce qu'ils font, et des " critères de validité ", auxquels se réfèrent les chercheurs en sciences sociales pour soutenir les résultats de leurs travaux ou juger ceux des autres. On a essayé de prolonger et d'affiner ce type de démarche en envisageant tout à la fois les proximités et les différences, les continuités et les discontinuités, mais aussi les interrelations dans un processus de réalimentation réciproque (des acteurs vers les chercheurs comme des chercheurs vers les acteurs), des savoirs sociaux des acteurs et de ceux des chercheurs en sciences sociales.
3-. Les conséquences non intentionnelles de l'action
Pour Anthony Giddens, " les propriétés structurés des systèmes sociaux s'étendent dans le temps et dans l'espace, bien au-delà du contrôle que peut exercer chaque acteur ". Les conséquences non intentionnelles de l'action constituent alors, avec l'inconscient, une des limites principales de la compétence des acteurs sociaux.Avec ce concept, Anthony Giddens intègre à sa théorie de la structuration une notion classique en sociologie, depuis le fonctionnalisme de Robert Merton et ses " conséquences non anticipées de l'action sociale finalisée " jusqu'à l'individualisme méthodologique de Raymond Boudon et ses " effets pervers "? De quoi s'agit-il ? " Du cours de l'action surgissent sans cesse des conséquences non voulues par les acteurs et, de façon rétroactive, ces conséquences non intentionnelles peuvent devenir des conditions non reconnues d'actions ultérieures "? c'est alors une véritable dialiectique de l'intentionnel (l'intentionnel de tel acteur accomplissant tel acte) étant pris dans des séquences d'action complexes qui tendent à lui échapper et qui portent l'action plus loin que lui.
Anthony Giddens prend l'exemple de la lumière et du cambrioleur. L'action de quelqu'un allumant la lumière de son appartement en rentrant chez lui alerte le cambrioleur qui s'y trouve : celui-ci prend alors la fuite, est arrêté par la police et fini en prison. Or, l'intention de l'acteur n'était que d'éclairer la pièce. La notion de conséquences non intentionnelles de l'action cherche alors à répondre à la question : " Comment se fait-il qu'un acte aussi banal que celui d'actionner un commutateur a pu déclencher une série d'évènements dont certains sont spatio-temporellement fort éloignés de l'acte déclencheur ? " Cette notion devient alors un médiateur, et même, une sorte de conducteur d'actions et d'interactions quotidiennes vers des espaces plus larges d'un point de vue spacial et temporel, sans que, à la différence de la notion d'interdépendance chez Norbert Elias, on appréhende les actions du point de vue d'un ensemble.
4-. Critique de l'évolutionnisme
Si Anthony Giddens accorde une grande importance à l'histoire et à la dimension temporelle de l'action sociale, il apparaït très critique à l'égard de l'évolutionnsiem, c'est-à-dire de la " tendance à associer la temporalité à une séquence linéaire et à penser l'histoire de cette façon comme si elle était animée d'un mouvement dont la direction est perceptible ". Un des dangers de l'évolutionnisme est ce qu'il appelle " la compréhension uniliéaire " qui rabat sur une seule ligne d'évolution générale les mouvements propres aux sociétés humaines.
Cette direction de l'histoire n'est bien souvent que la généralisation d'un aspect spécifique du travail de l'histoire, qui confond alors " l'évolution générale avec une évolution spécifique ". On trouve ici des convergences avec la tentative de Raymond Boudon pour restituer une place au hasard et au désordre, en mettant en cause les théories à prétentions universalistes du changement, du développeemnt ou de la modernisation. Mais, avec sa critique, Anthony Giddens rejoint, par certains aspects, une mise en cause encore plus radicale et systématique des évolutionismes, formulée, en puisant dans l'oeuvre du philosophe Friedrich Nietzche (1844 - 1900), par le philosophe-historien Michel Foucault (1926 - 1984). Michel Faucault recherche, contre les "genèses linaires " ayant pour ambition de " recueillir, dans une totalité bien refermée sur soi, la diversité enfin réduite du temps ", à redonner toute leur place au discontinu, à l'erratique, à l'hétérogène, au singulier et à l'accidentel, c'est-à-dire à " déployer les dispersions et les différences ".
5-. Système, intégration sociale et intégration systémique ou le micro réabsorbé par le macro
Anthony Giddens est amené à critiquer les analyses classiques des sociologies fonctionalistes, et tout particulièrement, la notion de fonction. Par une méthaphore biologiste identifiant un système social à un corps humain doté de fonctions naturelles, les explications fonctionnalistes négligent, selon lui, la compétence et l'activité intentionnelle des acteurs, préférant attribuer une logique et une rationnalité autosuffisantes au système social lui-même. Ce faisant, elles pensent " avoir résolu une question ", là où simplement a été " posé un problème ".
Anthony Giddens n'abandonne toutefois pas la tentation de penser les parties d'un ensemble social en référence à un tout, d'où le recours aux notions de " système social ". Le système social est défini comme " formation, à travers l'espace-temps, de modèles régularisés de relations sociales conçues comme pratiques reproduites ". C'est donc bien un tout stabilisé qui est visé, même s'il est précisé que les sytèmes sociaux " possèdent rarement la sorte d'unité interne qui caractérise nombre de systèmes physiques et biologiques. L'intégration sociale désigne le tout propre aux situations d'interaction, c'est-à-dire la " réciprocité entre acteurs et collectivités dans des circonstances de coprésence ", et l'intégration systémique étend sa portée, en exprimant la " réciprocité entre acteurs et collectivités dans un espace-temps étendu, hors des conditions de coprésence "? Anthony Giddens pense avoir " dépassé la distinction micro-macro grâce à ces concepts.
Il apparaît plutôt que ses schémas conceptuels restent tendus entre l'attention portée aux activités quotidiennes des acteurs et le projet de les appréhender en fonction d'un tout s'imposant nécessairement à eux. On rencontre à nouveau ici la difficulté à penser de manière équilibrée les processus de coproduction des parties et du tout.
On a donc vu avec Anthony Giddens une tentative théorique nouvelle pour sortir des dualismes classiques des sciences sociales, mais il ne semble pas que les solutions esquissées soient complètement à la hauteur des ambitions affichées. dans une science empirico-théorique comme la sociologie, les problèmes posés ne peuvent sans doute pas être résolus de façon exclusivement théorique.
En France, les travaux de Giddens, s'ils ont été assez bien accueillis, n'ont pas encore eu beaucoup d'écho dans les recherches proprement dites. C'est toutefois l'une des ressources utilisées par Jean-François Bayart dans ses analyses de sociologie politique sur l'Afrique.
http://www.sociocom.org/sociogiddens.html
LA COMPÉTENCE DES ACTEURS DANS LA THÉORIE DE LA STRUCTURATION D'Anthony Giddens (L. Lazar. Cahiers internationaux de Sociologie, vol. 93, 1992, pp. 399-416)
Après les nombreuses tentatives menées par les sociologues pour élaborer une analyse permettant de saisir la raison dialectique que la structure sociale et des acteurs. Anthony Giddens propose une théorie générale centrée sur la notion de "structuration". Le postulat fondamental de sa théorie se constitue autour de la notion de "dualité de structure", en référence à la notion récursive des pratiques sociales. Selon cette thèse, les systèmes sociaux sont produits par des acteurs, qui par leurs activités mêmes, contribuent à la constitution et à la reconstitution permanente de ces mêmes systèmes de rapports sociaux. Les agents et les structures ne sont pas considérés comme indépendants, ils se lient dans une relation mutuelle complexe et complémentaire.
Le problème de la relation entre sujet et objet, individu et société, action et structure se trouve encore au coeur du débat sociologique. Dans le passé, bien des auteurs ont considéré la question et prétendu apporter une solution. Chaque proposition consistait à mettre l'accent sur un terme au détriment de l'autre: souligner le rôle déterminant de la structure sociale (théorie institutionnelle) au détriment de l'acteur ou, inversement, donner la primauté à l'individu, à son action, à ses motivations et intentions, et non au cadre général de la vie sociale et culturelle (théorie de l'action). Peu d'entre eux ont tenté d'examiner comment l'action des agents individuels est liée aux structures sociales dont ils font partie.
La théorie de la structuration de Giddens s'efforce d'éviter le piège qui oppose l'objectivisme au subjectivisme. Selon celui-ci, la question n'est pas de savoir comment la structure détermine l'action ou comment les actions créent la structure, mais comment l'action est structurée dans les contextes quotidiens et comment les traits structurés de l'action sont reproduits dans l'espace et le temps. Les travaux de Giddens peuvent être considérés comme une tentative de "jeter un pont" entre théorie de l'action et théorie institutionnelle.
(...) Dans cet article, je me limiterai à la structuration en fonction de sa base épistémologique. Les trois ouvrages particulièrement concernés sont: New Rules of Sociological Methods (1976), Central Problems in Social Theory (1979) et la Constitution de la Société (1987).
1. La genèse de théorie de la structuration
Le terme "structuration" apparaît chez Giddens, pour la première fois dans Class Structure of the Advanced Societies (1973). Cependant, Giddens reconnaît qu'à cette époque, il ne l'a pas encore conçu comme un concept général de la théorie sociale. Il a fait appel à la notion de "structure de classe" pour mettre l'accent sur la complexité de la relation des classes dans les diverses sociétés. Dans le passé, les classes ont souvent été perçues comme des entités ou des groupes, perception que Giddens juge erronée; il propose plutôt de les analyser en partant de l'idée que les relations de classe constitue la base de la formation du groupe. Certes, les classes ne sont ni des groupes, ni des communautés, mais divers traits des systèmes de classe peuvent fournir des bases "structurantes" pour des groupes d'affiliation.
(...)
Les règles et les ressources
Le sens qu'il attribue au terme "règle" a évolué dans ses travaux. Ainsi, dans New Rules of Sociological Methods, il suggérait l'analyse des structures de signification comme des "règles sémantiques", et des structures de légitimation comme des "règles morales" (1976, 122-124). Plus tard, il modifiera cette proposition, donnait moins de poids aux deux sortes règles et en soulignant que toutes les règles ont deux aspects: elles se rapportent à la fois à la constitution de la signification et à la sanction de la conduite. Les ressources se divisent également en deux types: les ressources d'autorité qui découlent de la coordination des activités de l'acteur et les ressources d'allocation qui dérivent du contrôle d'objets matériels. C'est dans la Constitution de la Société (1984) qu'il clarifie enfin le terme "règle" d'une manière "univoque" en l'attachant à la structure sociale ou encore, à l'analyse de la "vie sociale".
Dès le début de l'élaboration du terme, il est parfaitement conscient des multiples connotations attribuées au terme "règle" - règle de jeux, règle morale, règle de grammaire, etc. - d'où la nécessité de "nettoyeré" le sens de manière à lui donner une définition plus rigoureuse.
Il met en garde contre l'utilisation de la règle du jeu, pour illustrer les règles sociales. Ainsi, il conteste la théorie du jeu chez Wittgenstein et ses disciples, le fait qu'il privilégie l'exemple de la règle du jeu, tel le jeu d'échecs, et qu'ils l'appliquent aux règles sociales. Connaître les règles du jeu signifie que l'on sait comment jouer (how to go on), alors que connaître une règle sociale ne signifie pas nécessairement qu'on soit capable de la formuler. Les individus, en tant qu'acteurs sociaux, connaissent un grand nombre de règles sociales sans qu'ils soient capables de les expliciter. Elles font partie de la conscience pratique. La connaissance des règles sociales, qui se manifeste d'abord et avant tout dans la conscience pratique, est au coeur de la "compétence spécifique des agents humains". C'est dire que tout acteur social a un haut niveau de connaissance auxquelles il fait appel dans la production et la reproduction des pratiques sociales quotidiennes, mais la plus grande partie de ce savoir est pratique plutôt que théorique.
Il précise également que, si règle est à peu près synonyme d'habitude ou de routine, elle n'est pas réductible à ces dernières dans la mesure où elle ne présuppose ni une prescription, ni une sanction.
Il entend par ressource, toute sorte de capacité à laquelle les acteurs peuvent recourir pour affecter le résultat d'un processus d'interaction. Règles et ressources doivent être comprises comme des propriétés de collectivités. Il est important que les règles puissent être conceptualisées séparément des ressources. Ces dernières font référence aux modes selon lesquels les relations transformatrices sont incorporées dans la production et la reproduction des pratiques. Autrement dit, les règles sont comme "des techniques ou des procédures généralisables employées dans l'actualisation et la reproduction des pratiques sociales. (1987, 70).
Les acteurs sociaux utilisent, dans la production et la reproduction de leurs pratiques quotidiennes, un savoir pratique plutôt que théorique. Il s'agit des formules ou des schémas établis pour exécuter, de façon routinière, les activités quotidiennes. Les règles les importantes pour la théorie sociale sont inscrustées dans la reproduction des pratiques institutionnalisées, celles que sont les plus profondément enracinées dans le temps et dans l'espace. Ces règles profondes sont régulièrement utilisées dans la structuration de la vie de tous les jours.
Le meilleur exemple est le langage, car les acteurs y puisent constamment pour régler leurs diverses interactions. Ces règles contrastent avec d'autres règles, appelées superficielles, non qu'elles comptent moins,mais parce qu'elles ont un impact moins profond sur la vie sociale. Si les premières sont tacites et faiblementi sanctionnées, celles appartenant à la deuxième catégorie sont discursives et fortement sanctionnées.
Pour Giddens, la distinction entre les deux types de règle est capitale car, contrairement à la croyance répandue, il estime que des règles apparemment sans importance et employées de façon routinière exercent une influence bien plus profonde sur les conduites sociales. La majorité des règles engagées dans la production et la reproduction des pratiques sociales sont connues par la plupart des acteurs, sans qu'ils puissent toutefois les verbaliser. Elles sont tellement évidentes qu'elles parlent pour ainsi dire d'elles-mêmes. "La formulation discursive d'une règle est déjà une interprétation de cette règle" (1987, 72).
L'ACTION DANS LA STRUCTURE
La critique de Giddens à l'égard des théories sociales est fondée sur l'"absence d'une action sociale adéquate". Il constate que les structuralistes ont négligé l'action, l'ont traitée de manière déterministe, en réduisant les acteurs au rôle de simples figurants qui subissent, plus ou moins mécaniques, des forces qui leur sont extérieures. Aucun n'a proposé une théorie de contrôler de façon réflexive leurs actes. D'autres, notamment les sociologues interprétatifs, contrairement aux précédents, ont doté les acteurs d'une autonomie complète et ont omis entre parenthèses l'analyse des institutions.
L'objectif de Giddens est de "promouvoir une récupération du sujet sans toutefois tomber dans le subjectivisme" (1979, 44). Dans l'élaboration de sa théorie de l'action, il fait appel à diverses théories notamment à la phénoménologie et à l'herméneutique, mais il puise également dans le marxisme. Bien qu'il critique des aspects "fonctionnalistes" des écrits de Marx, il est d'accord avec certaines de ses idées. La célèbre phrase de Marx - "Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas au gré de leur initiative ni dans des circonstances librement choisies; ils sont manoeuvrés par les circonstances du moment, telles que les ont créé les événements et la tradition" - le stimule particulièrement dans ses réflexions. Toutefois, il refuse catégoriquement la dénomination de "néo-marxiste". Même s'il reconnaît la pertinence de certaines idées de Marx, il critique fermement la conception utopiste du développement historique et le peu d'intérêt que le marxisme accorde aux politiques et au rôle de l'État-nation dans l'exercice du pouvoir.
Il convaincu qu'une théorie de l'action en sociologie ne peut aboutir sans reconsidérer l'idée conventionnelle de structure. Les notions d'action et de structure se présupposent mutuellement, elles sont en relation dialectique, mais la reconnaissance de leur dépendance exige de revoir une série de concepts.
Il accentue la différence essentielle, proposé par la théorie herméneutique entre science naturelle et science sociale. Les sciences de la nature se composent de lois précises et générales ainsi que d'un ensemble d'observations empiriques que ces lois peuvent "expliquer". Bien qu'il existe de nombreuses ressemblances entre nature et société, la nature n'est pas un produit humain tandis que la société en est un. Les pratiques sociales répétées qui constituent la vie sociale, ne sont pas "données" comme la nature, mais élaborées par des acteurs doués de conscience, de langage et d'un ensemble de connaissances collectives ou d'un savoir commun. Ces trois éléments sont étroitement liés dans la théorie de l'herméneutique. L'intelligibilité de l'action humaine est fondamentale pour la science sociale. Pour saisir pourquoi les acteurs agissent comme ils le font, il faut comprendre la signification de leur conduite (et il n'est pas suffisant de rester au niveau de l'analyse de la conscience discursive), ce qui exige la connaissance des règles que les acteurs acceptent et suivent dans leurs activités. Si Giddens incorpore dans sa théorie de l'action quelques éléments de la théorie herméneutique, il n'en reste pas moins critique à l'égard de nombreuses propositions. Notamment en ce qui concerne le concept d'action, ses limites et ses relations avec le pouvoir.
L'action, tel qu'il l'entend, n'est pas la série d'actes combinés, mais le flou d'une conduite continuelle. Un des traits essentiels de l'action pour Giddens est que les acteurs, à n'importe quel moment, auraient pu choisir d'agir autrement. Le contrôle réflexif est un trait fondamental de toute action. Il concerne à la fois la conduite de celui qui exerce ce contrôle et également la conduite des autres acteurs. Ce contrôle de l'action est rationnel, c'est-à-dire que les individus exercent une compréhension continue de leurs activités. Giddens remarque, certes, que ce type de compréhension ne doit pas être confondu avec un raisonnement discursif sur les conduites. Néanmoins, un acteur compétent suppose que les autres acteurs sont capables d'expliquer leurs actes si on le leur demande. Cependant, dans la routine quotidienne, les individus n'ont pas l'habitude de faire appel à ce quesionnement, ils ne le font qu'en cas de situation exceptionnelle.
Le contrôle réflexif de la conduite se rapporte au caractère intentionnel du comportement humain et à la rationnalisation de l'action. L'intentionnalité est ....
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(...) Toutefois, on ne peut traiter le pouvoir comme une simple ressource. Les ressources ne sont que les médias à travers lesquels le pouvoir s'exprime et par lesquels les structures de domination sont reproduites. Le pouvoir apparaît ainsi comme un contrôle exercé sur l'activité d'autrui à travers la mise en oeuvre stratégique de ressources. Le concept du pouvoir, à la fois comme capacité transformatrice et de domination, dépendra de l'utilisation des ressources.
Dans la théorie de l'action, la capacité transformatrice du pouvoir est utilisée dans la négociation entre les acteurs. Cela signifie que les acteurs connaissent non seulement les règles et les significations, mais qu'ils ont la possibilité de les utiliser dans la négociation des interactions.
Quant à la dialectique du contrôle, notion fondamentale dans la théorie de l'action, il s'agit des alternatives disponibles qui restent dans chaque type d'interaction (face à face, relation interpersonnelle ou institutionnelle), à la portée de l'acteur. Ainsi, Giddens abandonne l'idée d'un pouvoir essentiellement coercitif. Tout en reconnaissant l'aspect nécessairement assymétrique du pouvoir - l'un des acteurs a forcément plus de pouvoir que l'autre - il croit que dans chaque interaction, l'acteur "subordonné" possède, à un certain degré, une autonomie. Il n'y a pas de concentration complète du pouvoir dans les mains de l'un des acteurs.
En fait, la "dialectique du contrôle" est, encore une fois, liée aux limites de l'action; il s'agit des sources non reconnues et des conséquences non intentionnelles de l'action. Selon Giddens, les acteurs ne sont pas désarmés dans leurs interactions, au contraire, comme ils en ont une certaine connaissance, cela leur laisse une marge de manoeuvre qui les aide à produire des pratiques sociales et à les rationaliser. Or, en même temps, leurs actions souvent leur échappent, tout comme leurs intentions et les conséquences non intentionnelles deviennent alors des conditions limites de l'action future.
L'interaction dans la dualité structurelle
Selon la dualité dans la structuration, des règles et des ressources sont établies par les acteurs dans la production de l'interacton, mais aussi reconstituées à travers de telles interactions.
Giddens met l'accent sur la différence entre structure et interaction dans l'analyse sociale. L'interaction est constituée à travers les activités des acteurs, alors que les structures ont une "existence virtuelle", elles consistent en des règles et des ressources qui sont mises en oeuvre dans l'interaction. Des systèmes sociaux peuvent être traités comme des systèmes d'interaction. Partant du principe que la vie sociale doit être envisagé sous l'angle des pratiques et de la reproduction de ces pratiques, l'analyse de la constitution de l'interaction est primordiale.
Tout processus de structuration - production et reproduction - du système de l'interaction sociale comprend trois éléments:
- La communication de la signification
- L'exercice du pouvoir
- L'évaluation et le jugement de la conduite (1977, 132-133).
Selon Giddens, l'interaction comporte trois dimensions fondamentales qui sont analytiquement distinctes. Il les nomme "modalités". Les modalités de structuration représentent les dimensions centrales de la dualité de structure dans la consitution de l'interaction. Les modalités sont établies par des acteurs dans la production de l'interaction, mais en même temps, elles sont aussi les médias (conditions) de reproduction des éléments structurels du système d'interaction.
La première ligne se réfère aux aspects analytiquement distincts de la structure. La sructure comme signification comprend des règles sémantiques, comme domination des ressources inégalement distribuées, comme légitimation des règles morales et évolutives. Dans chaque cas, règles et ressources sont des "propritétés" des communautés ou des collectivités plutôt que celles des acteurs privées. Par modalité, Giddens renvoie à la médiation de l'interaction et la structure dans le processus de production et de reproduction sociale. Ainsi, les termes "schéma d'interprétation", "facilité" et "norme" se réfèrent à la connaissance et la capacité que des acteurs sont capables d'évoquer dans la production de leurs interactions.
Il ne s'agit pas d'une typologie des interactions, mais de présenter les diverses dimensions des pratiques sociales, elles mêmes combinées de manières différentes. La communication de significations en cours d'interaction n'est séparée ni de l'exercice du pouvoir ni du contexte des sanctions normatives. Ces trois éléments sont inclus dans toutes les pratiques sociales.
TABLEAU....
STRUCTURE SIGNIFICATION DOMINATION LÉGITIMATION
MODALITÉ SCHÉMA D'INTERPRÉTATION MOYEN (facility NORME
INTERACTION COMMUNICATION POUVOIR SANCTION
(...) Quand les acteurs appliquent des sanctions dans les interactions, il les établissent en fonction des normes qu'on peut analyser comme des "règles normales".
L'exercice du pouvoir au cours de l'interaction inclut l'utilisation de moyen (facility) par lesquels des acteurs sont capables de réaliser des solutions spécifiques; ces moyens peuvent être analysés comme "ressources" comprenant des structures de domination. L'exercice du pouvoir dépend de l'utilisation des ressources, bien que ces ressources sont des composantes structurelles des systèmes sociaux. Si Giddens admet que le pouvoir et la domination opèrent sur la base des asymétries de ressources, il n'est pas d'accord pour concevoir leur relation uniquement en termes d'asymétrie de distribution. Il conseille de leur accorder une place conceptuelle plus large et de reconnaître qu'ils sont inhérents à toute action humaine.
LE TEMPS ET L'ESPACE DANS LA THÉORIE DE LA STRUCTURATION
L'analyse du temps et de l'espace occupe une place centrale dans la théorie de la structuration. Il s'agit de concepts structurels, liés à la dualité de l'action et de la structure.
Les systèmes sociaux sont non seulement structurés par des règles et des ressources, mais également situés dans l'espace-temps. Les propriétés structurelles des systèmes sociaux n'existent que si les formes de conduites sociales se reproduisent, de façon répétitive, dans l'espace et dans le temps. Toute action humaine est chronologiquement impliquée dans la structuration de l'espace-temps. Si cette constatation semble banale, Giddens constate cependant que, dans le passé, les théoriciens des sciences sociales ont négligé non seulement la temporalité de la conduite sociale mais également sa distribution spatiale. Ces notions étaient plutôt traitées comme les "environnements" de l'action sociale.
Les notions du temps et de l'espace apparaissent chez Giddens en 1979 dans Central Problems in Social Theory, et deviennent des thèmes centraux dans ses travaux ultérieurs. L'objectif de Giddens est de montrer comment le temps et l'espace sont absolument fondamentaux dans l'étude de la vie sociale. Ceci implique en même temps une tentative pour se dresser contre les frontières académiques et traditionnelles entre sociologie, géographie et histoire. Dans la théorie de la structuration, Giddens traite la relation de l'espace-temps comme un trait constitutif des systèmes sociaux. Il ne s'agit pas d'aborder la relation comme "cadre" de l'action, mais comme exprimant la nature de l'action. C'est le caractère contextuel de l'action qu'il veut souligner; c'est-à-dire le fait que l'action humaine, tout comme la cognition, a une durée dans laquelle les acteurs évoluent et rationnalisent leurs....
LA CONSTITUTION DE LA SOCIÉTÉ
ANTHONY GIDDENS
Professeur à l'Université de Cambridge. Auteur de nombreux volumes sur la théorie du social, son œuvre, largement diffusée dans les pays anglo-saxons, est encore curieusement méconnue en France. Anthony Giddens est né en 1938 à Edmonton, au nord de Londres (RU). Premier de sa famille à aller à l’université, Giddens est diplômé de Hull en sociologie et psychologie (BA), de la London School of Economics en sociologie (MA) et de l’université de Cambridge (PhD). Devenu le «guru» de Tony Blair, Giddens a enseigné la sociologie au King’s College de Londres avant d’être nommé directeur de la London School of Economics en 1997.
Ce livre publié en 1984 a été traduit par Michel Audet (Université Laval) dans la collection Sociologies en 1987. Préface inédite à l'édition Quadrige par François Chazel, professeur à l'Université de Paris IV-Sorbonne.
Broché: 474 pages
Editeur : Presses Universitaires de France - PUF (2 juin 2005)
Collection : Quadrige Grands textes
Langue : Français
ISBN-10: 213055055X
ISBN-13: 978-2130550556
Publié pour la première fois en poche, cette réflexion originale apporte une contribution essentielle aux débats et discussions qui animent le champ de la théorie sociale en France, qu'il s'agisse du post-marxisme, du post-structuralisme, du retour au sujet ou de l'idée d'auto-organisation. François Chazel note également que la conception des sciences sociales défendue par Giddens est " une conception large, et à ce titre elle suscite la sympathie, ouverte sur la philosophie gui défend l'idée d'une unité profonde entre sociologie, histoire et géographie. "
Fiche de lecture: http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/giddens.html
Wiki: http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Constitution_de_la_soci%C3%A9t%C3%A9
LE DÉCLIN DE L'INSTITUTION
FRANÇOIS DUBET,
Sociologue, professeur à l’université de Bordeaux II, Directeur d'Etudes à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, chercheur au CADIS (Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques, EHESS/CNRS).
Il s’est illustré auparavant par maints travaux sur l’éducation, qu’il s’agisse des élèves du primaire, des collégiens ou des lycéens, ce qui est intéressant quand on sait que, concernant ce secteur, dans ce livre, il ne centre son étude que sur les enseignants (instituteurs et professeurs de collège). Dubet s’est également penché sur les jeunes en difficulté : de même, il s’agit du pôle se situant à l’autre bout de celui des professionnels qu’il analyse ici, ces jeunes étant le pendant des travailleurs sociaux . Il proclamait alors notamment le déclin, voire la disparition, de la bande de jeunes, ce qui a été contesté par la suite .
Dans cette œuvre, François Dubet étudie les professions visant à socialiser autrui et à le transformer, à travers trois secteurs du travail sur autrui dont l’institution, issue du modèle de l’Eglise traditionnelle, déclinerait aujourd’hui : l’éducation, à travers les instituteurs, les professeurs de collège et les médiateurs, le social, à travers les travailleurs sociaux, et la santé, avec les infirmières.
L’auteur consacre également une partie aux formateurs d’adulte, en tentant de mettre en évidence en quoi cette profession s’avère relativement épargnée par ce déclin . Dubet présente d’emblée cette recherche comme le troisième volume d’une « théorie générale », dont le premier a été consacré à une « théorie de l’acteur » et dont le second a été consacré à une « théorie de la structure sociale » . Ce troisième volume, présenté comme une « théorie de la socialisation » a pour objectif de faire le lien entre « les deux types de problèmes » : il s’agit de relier le niveau micro (l’acteur) et le niveau macro (la société). Dubet se pose dans une démarche constructiviste, à l’intermédiaire, sur la plan théorique, entre le holisme et l’individualisme, à travers l’idée que l’acteur construit son expérience à partir de contraintes sociales . D’ailleurs, la croyance et la subjectivité de l’acteur nous semblent au centre de son hypothèse et de sa théorie, puisque le déclin du programme institutionnel est présenté comme parallèle à celui de sa sacralité et de sa magie. Mais, il analyse toujours la place de l’individu par rapport à un ensemble structurel macro lui permettant de prendre du recul. D’une part, son analyse retrace l’histoire de l’institution, puisque l’avènement de la modernité est vu comme l’axe de sa recherche. D’autre part, il élargit sa problématique à l’ensemble de la société, dépassant le simple cadre des institutions, posant le problème de la question de la démocratie, établissant un constat du déclin de l’idée même de société. Les références à Durkheim (notamment pour l’hypothèse selon laquelle le mode de socialisation de l’institution moderne est réalisé sur le modèle de l’Eglise) du pôle de la sociologie holiste, comme aux autres sociologues classiques situés dans le courant de la sociologie de l’acteur (Simmel, ou Weber pour la « vocation ») sont au centre de ses analyses. (
Source:
http://www.oboulo.com/declin-institution-francois-dubet-14105.html
Il a publié notamment À l’école (1996, avec D. Martuccelli), Dans quelle société vivons-nous ? (1998) et L’Hypocrisie scolaire (2000 avec M. Duru-Bellat).
Broché: 421 pages
Editeur : Seuil (14 septembre 2002)
Collection : L'épreuve des faits
Langue : Français
ISBN-10: 2020551632
ISBN-13: 978-2020551632
Table des matières
Travail et socialisation
Le programme institutionnel
Le déclin du programme institutionnel
Une mutation maîtrisée : les instituteurs
Une expérience assiégée : les professeurs
La place du métier : les formateurs d'adultes
Entre technique, relations et organisation : les infirmières
Une expérience critique : les travailleurs sociaux
Hors de l'institution : les médiateurs
Travail et travail sur autrui
Le travail de socialisation
Peut-on se passer des institutions ?
POURQUOI CHANGER L'ÉCOLE?
Entretien avec Philippe Petit
POURQUOI CHANGER L'ÉCOLE?
Entretien avec Philippe Petit
Relié: 140 pages
Editeur : Textuel (26 mars 1999)
Collection : Conversations pour d
Langue : Français
ISBN-10: 2909317730
Pour maintenir en vie les principes de l'école républicaine, il faut la transformer. François Dubet, sociologue de l'expérience scolaire, juge insupportable le fossé entre les valeurs et les pratiques creusé par le système scolaire, devenu usine à reproduire les inégalités sociales. Changer l'école devient dès lors un impératif politique. L'auteur analyse les rouages de cette sélection et explore les terrains possibles d'une vraie réforme. Pour une école plus juste, capable d'intégration et de promotion par le savoir.
Table des matières 1. Grandeur et décadence de l'école républicaine
L'égalitarisme de l'école de Jules Ferry est souvent invoqué à titre de modèle. Il ne fut pourtant pas toujours à la hauteur de ses ambitions. Aujourd'hui, sous le poids de la massification, la sélection scolaire et la sélection sociale font désormais cause commune. C'est donc le fonctionnement même de l'école qu'il faut transformer pour combattre ces nouvelles inégalités.
2. Quelle mission pour l'école ?
Il n'y a pas d'école sans projet éducatif : la mission de l'école a partie liée avec l'idéal de société que l'on promeut. L'auteur cerne la difficulté à créer une école qui adapte les élèves au monde tel qu'il est sans pour autant céder devant la culture de masse et les logiques du marché de l'emploi.
3. Ce qu'il faut changer
Formation des professeurs, mise en place de nouveaux programmes, intervention des parents, laïcité, violence, immigration François Dubet nous oblige à prendre en compte la réalité de l'école aujourd'hui. Il explore les terrains possibles d'une vraie réforme pour une école plus juste.
4. Prolonger le débat
Afin d'éclairer et approfondir le débat sur l'école, François Dubet a accepté de répondre à quelques questions clés en fin de cet ouvrage. C'est à ces mêmes questions que répond Charles Coutel dans son livre Que vive 1'ëcole républicaine ! qui paraît dans cette même collection.
LE PROJET D'AUTONOMIE de Castoriadis
http://www.paris-philo.com/article-3358456.html
http://infokiosques.net/spip.php?article=156
Vendredi 28 juillet 2006
AUTONOMIE ET HIERARCHIE 5 / La Pensée politique de Cornélius Castoriadis : Le projet d'autonomie
La pensée politique de Cornelius Castoriadis
Le projet d’autonomie
Résumé
Cette brochure est le résumé d’un résumé. Sa prétention est d’évoquer la pensée politique de Cornelius Castoriadis, une pensée qui s’est étendue, tournée et retournée dans des milliers de pages de tomes divers et nombreux. Il ne faut donc pas espérer trouver ici un condensé fidèle et concis des méandres de cette réflexion, il faut lire cette brochure en se disant et en se répétant qu’elle n’est pas un résumé (oublions la première phrase ci-dessus) mais davantage une présentation, une introduction aux théories castoriadiennes. Les notes en fin de brochure fourniront une bibliographie complète pour qui veut s’enfoncer dans les écrits made in Casto.
Castoriadis est né en Grèce en 1922 ; il émigre en France à la fin de la guerre à cause de son dangereux engagement politique, s’y fait naturaliser, et y meurt en 1997. Dans sa jeunesse, il passe de la gauche du marxisme à la gauche du trotskysme, puis rompt avec ce dernier et énonce une critique en règle de toute la pensée marxiste, démontrant son ancrage dans l’imaginaire capitaliste. Il fonde la revue Socialisme ou Barbarie, qui marque les années 50 ainsi que de plus ou moins recommandables figures du mouvement social (Guy Debord, Daniel Cohn-Bendit...). La particularité de Castoriadis est peut-être celle d’être un penseur touche-à-tout, philosophe, psychanalyste, économiste à l’OCDE, érudit en Histoire, en musique, en épistémologie, en mathématiques... Sa pensée politique se ressent d’une telle approche globale. Elle nous semble riche car, d’autre part et sous plusieurs aspects, elle nous paraît pouvoir alimenter les réflexions libertaires de manière fine et approfondie, même si Castoriadis lui-même ne s’est jamais revendiqué de ce bord-là.
En l’an 2000 paraît une intéressante « introduction » à sa pensée politique, par Gérard David et aux éditions Michalon, qui s’appelle Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie (son prix prohibitif méritera la plus grande créativité de votre part pour vous le procurer). C’est cet ouvrage que cette brochure ambitionne de résumer. Les citations évoquées sont donc soit de Gérard David, soit de Castoriadis lui-même, soit du premier citant le second dans sa citation. Voilà. Bonne lecture.
Pour toute remarque : Iosk éditions, 10 traverse des 400 Couverts, 38000 Grenoble, [email protected]
La modernité occidentale
Castoriadis a beaucoup étudié l’Antiquité grecque : c’est dans cette période-là qu’il voit la naissance de la société occidentale. Il le démontre de différentes façons, notamment en comparant l’imaginaire politique de l’époque à celui de la nôtre. Le processus essentiel qu’il voit dans la société grecque, c’est l’avènement de la Raison : pour la première fois dans l’Histoire (ou du moins de ce que nous en connaissons), les humain-e-s discutent et décident de leur vie sur des fondements rationnels, qu’ils peuvent maîtriser totalement, et pas sur des fondements d’ordre divin, magique, transcendant. La Raison qui éclot en Grèce, rappelons-le, s’exprime dans l’apparition de la philosophie, de la science, de la démocratie, de « la mise en question des institutions établies »...
Dans les siècles qui ont suivi, explique Castoriadis, les progrès de la Raison ont suivi deux chemins, ont servi deux projets, qui s’entremêlent tout en s’opposant : le projet d’autonomie d’une part, et le projet capitaliste de l’autre, projet « démentiel, d’une expansion illimitée d’une pseudo-maîtrise pseudo-rationnelle qui depuis longtemps a cessé de concerner seulement les forces productives et l’économie pour devenir un projet global (...), d’une maîtrise totale des données physiques, biologiques, psychiques, sociales, culturelles. »1
Le projet d’autonomie sera décrit plus amplement plus loin. Mais d’ores et déjà on peut dire qu’il consiste à rendre les humain-e-s entièrement maîtres-se-s de leur vie et de leur société, entièrement conscient-e-s et responsables de ce qui leur arrive et de ce qu’illes construisent. C’est un projet marqué par l’usage de la rationalité, mais aussi de l’auto-limitation* : pour que les humain-e-s puissent vivre ensemble sans qu’une autorité supérieure les contraigne et les punisse, illes doivent être capable de se fixer elleux-mêmes des limites. Le projet capitaliste, lui, utilise la rationalité mais sans limites : son but est bien une « expansion illimitée », une croissance sans fin, des profits toujours plus grands, une maîtrise maximale de ce qui existe sur la planète, « l’expansion illlimitée des forces productives ; la préoccupation obsédante avec le « développement » ; le « progrès technique » pseudo-rationnel ; la production ; « l’économie » ; la « rationalisation » et le contrôle de toutes les activités ; la division de plus en plus poussée des tâches ; la quantification universelle, le calcul, la « planification » ; l’organisation comme fin en soi, etc. » 2 Or, « l’autonomie (...) en tant qu’auto-limitation, ne saurait exister avec une expansion illimitée de quoi que ce soit, fût-ce d’une prétendue « rationalité ». » 3
L’expansion rationnelle illimitée qui anime le projet capitaliste aboutit logiquement à diverses catastrophes. La techno-science est bien l’expression d’un contrôle exponentiel sur le monde, d’un contrôle qui lui-même ne se contrôle plus et qui n’est donc qu’un contrôle illusoire. L’impérialisme reflète l’extension dans l’espace, violente, écrasante, du projet capitaliste. Le totalitarisme pousse à l’extrême la logique du contrôle absolu sur une planète et ses habitant-e-s. Ces démesures capitalistes sont bel et bien marquées de raison, mais ni l’auto-limitation ni l’autonomie, elles, n’y sont présentes. Ne serait-ce que parce qu’elles sont menées par une partie largement minoritaire de l’espèce humaine, dans ses seuls intérêts.
A l’heure actuelle il semblerait que le projet capitaliste prenne le dessus sur le projet d’autonomie4. Mais notre « modernité occidentale » est complexe et il faut bien comprendre que les deux projets, bien qu’ils soient antinomiques, coexistent encore, voire interagissent, se contaminent l’un l’autre. Le projet d’autonomie s’exprime encore dans les luttes sociales, dans les révoltes et les révolutions récentes. Il faut d’ailleurs bien voir que le libéralisme actuel est « un régime social bâtard, basé sur la coexistence entre le pouvoir des couches dominantes et une contestation sociale et politique presque ininterrompue »5. Enfin, le projet capitaliste ne survivrait pas s’il n’était alimenté par les comportements mêmes qui caractérisent le projet d’autonomie et qu’il s’évertue à détruire : les luttes sociales, le souci du bien commun, les valeurs de responsabilité (chez certain-e-s juges, profs, ouvrier-e-s, etc., qui mettent du coeur à l’ouvrage)6...
Castoriadis ne préconise évidemment ni de se contenter de la « modernité occidentale », ni de revenir à l’Antiquité grecque. Il propose de dépasser ces deux formes de société et d’oeuvrer pour l’application du projet d’autonomie7.
L’autonomie
« Une interrogation politique cruciale : comment les hommes peuvent-ils devenir capables de résoudre leurs problèmes eux-mêmes (...) ? »39
Un peu d’étymologie...
Auto = le même, hétéro = l’autre, nomos = la loi,
donc
autonomie = exécuter des lois qu’on se donne soi-même (« sachant qu’on le fait » ajouterait Castoriadis),
hétéronomie = exécuter des lois données par d’autres.
Le principe d’autonomie, pour Castoriadis, désigne la capacité des humain-e-s à être entièrement maîtres-se-s de leur vie, de leur société, des institutions qu’illes se donnent. A l’inverse, dans l’hétéronomie, tout ce que vivent les humain-e-s, dans leur vie quotidienne et sociale, ne dépend pas d’elleux et paraît impossible à changer. La tradition et l’autorité, par exemple, relèvent du domaine de l’hétéronomie : elles entraînent les individu-e-s à agir selon des principes qui leur sont donnés d’en haut, qui ne leur appartiennent pas, qui ont été établis dans le passé, par d’autres gens, par leurs supérieur-e-s. Les individu-e-s exécutent ou reproduisent alors des ordres, des normes, des coutumes, sans les comprendre ou les contrôler. « Les produits de l’homme (objets ou institutions) prennent face à lui une existence sociale indépendante, et au lieu d’être dominés par lui, le dominent. »40 La « soumission [de la société] à une « loi de l’autre » est auto-aliénation, occultation à elle-même de sa nature historique et auto-créatrice »41. « La règle des sociétés humaines est celle de l’individu social hétéronome, conforme à l’institution sociale et fonctionnel pour la reproduction de cette même institution. »42 Depuis les années 50, nous sommes dans une nouvelle phase de l’histoire occidentale : le retrait dans le conformisme, le retour de l’hétéronomie, c’est-à-dire « le fait de penser et d’agir comme l’institution et le milieu social l’imposent (ouvertement ou de manière souterraine). »43
Castoriadis utilise souvent le mot institution, au sens strict : l’institution chez lui recouvre n’importe quel outil, système, mécanisme, de la société, les « formes de pensée, modes d’organisation, d’action »44. Dans l’hétéronomie, les institutions sont séparées des populations, maîtrisées par d’autres, elles ont leur logique et elles peuvent être écrasantes. « L’institution, une fois posée, s’autonomise, acquiert une inertie et une logique propres »45. L’autonomie, par contre, est « l’activité d’auto-institution explicite et lucide »46, elle « désigne l’ouverture, la mise en question de soi liée à la capacité de la société et des individus à remettre en cause les lois, l’institution et les significations de la société »47. Dans l’autonomie, les humain-e-s choisissent pleinement les institutions dont illes veulent se doter pour faire fonctionner leur société, illes les contrôlent totalement, et peuvent les changer à tout moment. Une institution, dans une société autonome, pourra être par exemple l’assemblée générale des membres, le roulement des postes spécialisés, etc.
Le noeud de cette question d’autonomie et d’hétéronomie, c’est l’idée que toute société humaine, toute institution, a été créée par les humain-e-s, relève du domaine de l’humain, et peut être changée. Il s’agit pour les humain-e-s de comprendre que leur société leur appartient, qu’elle ne fonctionne que par leur participation plus ou moins forcée, qu’illes peuvent se la réapproprier. Comment se fait-il que cette idée ne semble ni évidente ni acquise à l’heure qu’il est ? « La logique-ontologie gréco-occidentale, [pour laquelle] « être » signifie « être prédéterminé », a occulté l’Histoire humaine en tant que « création ». »48 « La société étaye l’hétéronomie en rationalisant la représentation d’une origine extra-sociale de l’institution »49 Cette origine extra-sociale, dans certaines sociétés, sera un ordre divin, ou « naturel ». Dans les pays occidentaux, si les choses ne sont pas toujours expliquées de manière aussi crue, on cultive la représentation d’une société solidement établie et on n’encourage aucunement sa reprise en main par tout-un-e-chacun-e. « Le problème de la révolution est en fin de compte que la société se reconnaisse comme source de sa propre autorité et qu’elle s’auto-institue explicitement. »49 Autrement dit, que la « socialité » et « l’historicité » ne soient pas vécues par les humain-e-s de manière passive et fataliste, mais « positivement »50.